
Le Petit dictionnaire sonore du Cameroun revient sur un lapsus. Il s’agit du mot « ingratitude ». C’est le propos du sélectionneur de l’équipe nationale de football. Rigobert Song s’est fourvoyé récemment lors d’un point de presse. Une partie de l’opinion l’a critiqué d’avoir fait usage d’un niveau de langue au rabais. La chronique du vivre-ensemble linguistique de Télesphore Mba Bizo explore les enjeux d’une telle confusion.
Le mot se reçoit comme le mal absolu. Il s’agit du terme ingratitude. Le sélectionneur de l’équipe nationale fanion se fourche la langue. Le patron des Lions indomptables veut dire toute sa gratitude à d’aucuns. Mais il prononce le mot contraire. C’est le tollé dans une partie de l’opinion. Elle est acquise à l’intolérance linguistique. Le Cameroun se découvre puriste. Il exige un sélectionneur qui parle comme un livre. Le pays, à la réputation éloquente, a une image d’érudition française à protéger. Le Petit dictionnaire sonore du français au Cameroun se positionne contre cet emballement. La parole s’accompagne de troubles. Le lapsus est à la parole ce qu’est le péché chez le chrétien.
Jeter la première pierre sur Rigobert Song Bahanag est vicieux. Il est jugé sur une langue importée qui ne lui est pas maternelle. Que celui qui n’a jamais commis une faute de français lève le petit doigt. Même Molière, père de la langue française par la qualité de son rendu, a des coquilles dans ses manuscrits. L’intégrisme linguistique actuel pose un problème de mémoire. L’héroïsme de Rigobert Song Bahanag rentre dans l’oubli. Cette mémoire courte cultive une sorte d’ingratitude. Le sélectionneur, à cause d’un glissement linguistique, cesse d’être l’une des Camerounais les plus adulés. Il s’agit pourtant de l’incarnation de la fonction indomptable. Même Isaac Sinkot, surnommé Ndjasso, les ciseaux, ne vaut pas son tranchant patriotique. L’amnésie emporte une appellation coqueluche comme Magnang, frère affirmé.
Le héros qui symbolise le « Hemlé » n’est plus un surhomme à cause d’un français qui se montre ingrat quand il prend la parole. Le Petit dictionnaire sonore du français au Cameroun qualifie d’excessive cette mise à mort symbolique de celui que Jean-Lambert Nang, ancien chroniqueur de sport, appelle « Captain Song ».
Le terme capitaine en anglais lui reconnaît l’héritage de l’engagement physique et technique à toute épreuve de Stephen Tataw. L’ingrat écrit le bien dans l’eau et le mal dans la pierre. La chronique du vivre-ensemble linguistique conseille d’évaluer le sélectionneur des Lions indomptables sur le terrain des résultats. C’est l’auteur de la qualification du Cameroun à la Coupe du monde qatarie. Il s’agit d’un ticket empoché de haute lutte dans la chaudière de Blida en Algérie. Il s’agit de la manifestation la plus récente de la notion d’impossible n’est pas camerounais. Le classement du pays aux dernières phases finales se discute entre avant-dernier et dernier. Éviter au vert-rouge-jaune cette honte d’être à nouveau ferme-queue est de nature à assurer à Rigobert Song Bahanag un retour en grâce. La perspective d’une demi-finale achèvera de polir la légende qu’il est déjà partout, sauf dans l’usage du mot juste. Comme ce qui tue l’homme sort de la bouche, français camerounais type, il revient à Rigobert Song Bahanag de rentrer à l’école de la prise de parole publique. Le « Public Speaking » ou « Speech » est un module indispensable chez les orateurs.
À la limite, il appartient à son attaché de presse, « team press », selon l’anglicisme convenu, de restructurer l’élocution de Rigobert Song Bahanag. Le sélectionneur pourra, enfin, parler avec le génie de Christophe Galtier. L’entraineur du Paris Saint Germain, PSG, est l’une des meilleures interventions françaises de son métier en termes d’homme dictionnaire. Tuchel et Klopp, ces entraineurs allemands assument aussi la conquête de l’Europe parce qu’ils sont multilingues. Il revient au public de considérer la prise de liberté de Rigo avec le français comme une rigolade. De l’humain, l’important consiste à magnifier les qualités d’un individu ou d’un collectif. Une société qui ne retient que les écarts de langage ou de conduite a un problème avec elle-même. L’humain ne cesse pas d’être le siège de la rencontre entre le bien et le mal.
Texte diffusé au Poste national le 20 septembre 2022 à 6h20.